Chroniques de l’orgue de Wimereux

Un orgue neuf pour la Holy Trinity Church de Boulogne (1870)

Des recherches récentes (*) permettent de préciser l’acte de naissance de l’Orgue de Wimereux initialement installé à Boulogne dans la Holy Trinity Church (église anglicane, dans l’ancien Couvent de Capucins, place des Capucins), avec une date d’achèvement en janvier 1870. Une revue musicale hebdomadaire britannique de la deuxième moitié du 19e siècle, « The Musical Standard« , très prisée dans les milieux de la musique d’orgue, de la composition musicale, et du chant choral pour les paroisses, vendue pour la modique somme de 2 pences, plubliait régulièrement des actualités en matière musicale. C’est ainsi qu’une publicité pour la société de Messieurs Speechly & Ingram apparaissait à la page 50 du n° 12 du samedi 29 janvier 1870 de « The Musical Standard » en ces termes :

« Organs !! Organs !! Organs !! To be sold, a bargain, must be cleared to make room for new ones now building by Messrs. Speechly and Ingram, of the Camden Organ Factory, King’s Road, London, N.W. …« 

(« Orgues !! Orgues !! Orgues !! A vendre, Une affaire, A liquider pour faire place à de nouvelles réalisations de Messieurs Speechly et Ingram, Fabrique d’Orgue du quartier de Camden, King’s Road, Nord-Ouest de Londres, … »)

puis cette publicité donnait la liste de leurs denières réalisations (à Exeter, Budock en Cornouailles, Gloucester, Great Barton dans le Suffolk, et d’autres) dont « Trinity Church, Boulogne » en précisant « for further particulars, Apply to Messrs. Speechly and Ingram » (« pour plus de détails, présentez vous à MM Speechly et Ingram »). Malheureusement il ne nous est pas possible d’avoir ce jour plus de détails.

Sauf que ce même numéro du « Musical Standard », à la page 53, nous donne quelques précisions supplémentaire dans la rubrique : « Organ News » en publiant quelques infos sur l’édification de nouveaux instruments, avec leur « synopsis », et c’est ainsi que l’on peu lire dans la 2ème moitié de la colonne de droite :

« France – Synopsis of an organ building by Messrs, Speechly and Ingram for Trinity Church, Boulogne-sur-mer, France« ,

puis suivent les caractéristiques techniques de cet orgue :

  • Great Organ, CC to G3

    • Open diapason (metal), 8 feet, 56 pipes
    • Dulciana-gamut G, lower 7 notes from N°3- (metal), 8 feet, 49 pipes
    • Stopped diapason and clarabella (wood), 8 feet, 56 pipes
    • Gemshorn (metal), 4 feet, 56 pipes
    • Harmonic flute (metal), 4 feet, 56 pipes
    • Flageolet (metal), 2 feet, 56 pipes
  • Swell Organ, CC to G3

    • Double diapason (wood), 16 feet tone, 56 pipes
    • Violin open diapason (metal), 8 feet, 56 pipes
    • Lieblich gedact (wood), 8 feet tone, 56 pipes
    • Principal (metal), 4 feet, 56 pipes
    • Fifteenth (metal), 2 feet, 56 pipes
    • Hautboy (metal), 8 feet, 56 pipes
  • Pedal Organ, CCC to Tenor F (Radiating en Concave Board)

    • Grand Open Diapason (wood), 16 feet, 30 pipes
  • Couplers : Swell super-octave, Swell to Great, Swell to Pedals, Great to Pedals.

  • Four composition pedals to Great Organ ; Two ditto ditto to Swell

  • TOTAL : 695 pipes

The whole of the pipes inside the organ are of the best spotted metal. Illuminated speaking front.

(« La totalité des tuyaux à l’intérieur de l’orgue sont du meilleur métal en « spotted ». Tuyaux jouant en façade (« montre ») décorés d’enluminures »)

(* : « The Musical Standard, 29 jan 1870, n° 287 »  dans les archives de « Harvard College Library, from the Elkan Naumburg Fellowship Fund » – recherches effectuées en 2015 par Franck Weens)

On peut donc noter les transformations et améliorations de l’orgue apportées dans les années suivantes jusqu’à ce jour : le Récit a acquis de nouveaux jeux : Mixture, Trompette et Voix Humaine ; le pédalier a acquis un deuxième jeu : le Grand Bourdon 16, tandis que le clavier du Grand-Orgue n’a pas été modifié.

vers 1880 : Relevage

Le catalogue « Les Orgues du Pas-de-Calais – Inventaires – Cahiers du Patrimoine », par Bernard Hesdin et M. Vanmackenberg (Lille – Domaine Musique Nord-Pas-de-Calais, 1996), mentionne certes que l’intrument de facture anglaise aurait été construit dans les années 1850 (mais c’était sans connaître les informations récemment mises au jour grâce au « Musical Standard » de janvier 1870). Il est dit ensuite qu’il fut restauré par un dénommé Gustave Ingram, facteur londonien, dans les années 1880. On a en effet retrouvé lors de la restauration une plaquette mentionnant ceci : « Removed & reerected by Eustace INGRAM LONDON 188? ».

ndlr : les recherches concernant le facteur d’orgue Gustave Ingram sont restées vaines, mais peut-être s’agit-il « Eustace Ingram » dont la calligraphie en lettres gothiques a pu posé quelques problèmes de relecture par des yeux non-aguerris ?

Le concert inaugural après restauration fut donné par l’organiste et compositeur boulonnais Alexandre Guilmant.

Exemple de plaquette utilisée par Eustace Ingram apposée sur les orgues de sa facture ou dès sa restauration.

Comme à son habitude sur chacun des orgues dont il avait l’entretien, le facteur d’orgue Eustace Ingram avait fait placé sur le montant droit du coffrage de la console, au plus près de la planche du pupitre, une étiquette destinée au service après vente. Celle-ci est encore visible aujourd’hui ; on peut y lire :

« TO THE ORGANIST – Should this Organ require attention, please address not later than Friday if possible, to ensure it being attended the same week, EUSTACE INGRAM, Organ builder, Burnard Place, Eden Grove, Holloway, London. »

(À l’intention de l’organiste, que cet orgue soit l’objet de votre vigilance : s’il vous plaît, veuillez vous adresser au plus tard le vendredi, pour être certain que votre demande soit prise en considération dans le courant de la semaine, si possible, à Eustace Ingram, facteur d’orgue, à Burnard Place, Eden Grove, quartier d’Holloway, à Londres.).

On constate que le soucis de maintenance répondait déjà à l’epoque à des critères de réactivité importants qu’il était certes possible de respecter pour des instruments situés à Londres ou alentours, mais qu’il était plus difficile à mettre en œuvre dans certain cas : impossible de remettre rapidement en état un orgue défectueux (pour les offices de fin de la même semaine que la requête) si celui-ci était trop distant, outre-Manche par exemple, comme à Boulogne. Ceci obligea la société d’E. Igram à biffer à la plume les lignes concernant les délais d’intervention, qui n’étaient plus contractuelles.

1927 : Transfert et restauration par Frédéric Charles Crutchley

En 1927, à la fermeture de la chappelle anglicane Holy Trinity church de Boulogne-sur-Mer (ancien couvent de Capucins, place de Capucins), l’abbé BRASSART, curé de la paroisse de Wimereux, achète l’orgue au Révérend HAWARD et le fait installer dans la tribune déjà existante de l’église. Frédéric Charles CRUTCHLEY, facteur anglais établi à Blendecques, effectua la restauration. Le Grand Bourdon XVI, initialement à l’arrière de la boîte expressive, fut placé sur le côté. On installa une Vox Humana sur le flanc, et la pédale d’expression à cuiiller fut remplacée par une bascule (selon la même source : « Les Orgues du Pas-de-Calais, de Bernard Hesdin)

ndlr : cependant on notera que le facteur d’orgue Nicolas Toussaint a observé que tous les orgues « Speechly & Ingram » sont dotés d’une pédale d’expression par une bascule latérale.

1937 : Relevage par Jean Decroix

Jean DECROIX, de Marles-lès-Mines, à la demande de l’abbé MOURMIER nouvellement arrivé dans la paroisse, effectua une remise en état en 1937. Les travaux dureront quatre mois et le 25 juillet 1937, un concert inaugural fut donné par Jean PERGOLA, titulaire de St-Germain-l’Auxerrois à Paris. Les interventions de 1880 et 1937 sont mentionnées sur le pupitre.

Abîmé par la guerre 39/45

En 1944, une bombe tombée sur le côté gauche de l’église crible la façade et la tuyauterie des jeux du clavier du Grand-Orgue. Maître Jean PASCAL, de Lille fit une révision en 1957, sous l’initiative du père DELPIERRE.  Michel GARNIER, alors insallé à Lumbres, effectua quelques réparation en 1981 pour la somme de 4500 Frs, dans le cadre du Festival de la Côte d’Opale.

Classement Monument Historique (1987) et Restauration (1991-1997)

Le ministère de la Culture (direction des monuments historiques), considéra que la conservation de l’orgue présentait un intérêt public au point de vue de l’histoire de la musique et de l’art de la facture anglaise en France au XIXe siècle : l’orgue fut donc classé monument historique pour sa partie instrumentale (26/12/1987). Un programme de travaux fut établi par Bernard HEDIN, technicien-conseil auprès de la DRAC, en 1989. Le relevage complet de l’instrument fut confié, en 1992, aux facteurs associés Millot-Jaccard de Saulieu (Côte d’Or), mais la liquidation judiciaire de l’entreprise intervint en 1993. Le facteur Nicolas Toussaint, de Nantes, fut retenu en 1994, à la suite d’un deuxième appel d’offres. L’ordre de service fut lancé en 1996 et la restauration fut achevée le 16 janvier 1998

L’instrument a été béni par Mgr DEROUET, évêque d’Arras, le 16 août 1998. Le concert inaugural a eu lieu le 20 septembre 1998 avec la participation de François LOMBARD, organiste titulaire de l’église St-Pierre à Calais, et le concours de l’ensemble vocal LYRIADE dirigé par Danièle FACON.

Douze tuyaux de flûte XVI, disparus lors de la liquidation de l’entreprise Millot-Jaccard en 1993, sont refaits à neuf par Nicolas Toussaint et posés en avril 2009. L’orgue achevé est inauguré au cours de la messe dominicale du 27 septembre 2009 avec la participation de Didier Hennuyer, Organiste Titulaire de la cathédrale Notre-Dame et l’église Saint-François-de-Sales de Boulognesur- Mer, en présence de Roland Galtier, Technicien Conseil, et Dominique Dupilet, Président du Département du Pas-de-Calais, partenaire financier avec la Ville de Wimereux et la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC).

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