-3- Art sacré et Art contemporain : « la querelle de l’Art Sacré »
Michel Debuyser a poursuivi sa conférence en posant plusieurs questions : L’art sacré et l’art moderne sont-ils compatible ? La liberté de l’artiste moderne peut-elle s’affranchir de certaines traditions de représentation du divin ? L’art sacré ayant aussi une mission pédagogique d’évangélisation, les artistes représentant le sacré ont-ils une « base » suffisante de connaissance théologique, exégétique ?
La querelle de l’Art Sacré:
En 1935, la création de la revue « l’art sacré » a pour but de revivifier l’art religieux catholique jugé « moribond ». L’art religieux n’evoluait plus depuis la fin du XIXe siècle, reproduisant inexorablement un style saint-sulpicien, en complet décalage l’art dit « profane », qui continuait a évoluer, passant de l’art nouveau à l’art déco en ce début du XXe siècle. En 19371 la revue est reprise par les éditions du Cerf qui en confient la direction à deux dominicains : le père Regamey et le père Couturier qui en assurent la direction jusqu’en 1954 date de la mort du père Couturier. Le père Couturier, artiste formé au départ dans les ateliers d’Art Sacré de Maurice Denis se montre très critique à l’égard de sa formation première. Avec le père Regamey, il partage une même exigence : combattre la médiocrité, la mièvrerie et l’académisme qui dominent l’art religieux au point de l’étouffer complètement. Il faut, selon lui, profiter de la reconstruction pour suivre trois directions : • Choisir « l’art vivant », parier sur le génie contre l’Académisme des Prix de Rome, contre la médiocrité. • Se fonder sur la Tradition dans ce qu’elle a de plus authentique et vivant, pour refuser le passéisme, en finir avec tous les courants néo-médiévaux, néo primitifs. • Faire appel à toutes les bonnes volontés avec comme seule critère la qualité; a Aux grands Hommes, les grandes oeuvres !
Depuis que l’art n’est plus au service de l’Église, mais qu’il a acquis sa pleine autonomie (le début du XXe siècle, pour simplifier), des conflits apparaissent fréquemment entre l’expression des artistes et la réception religieuse de certaines de leurs œuvres. Ces artistes revendiquent une absolue liberté de création, tandis que les milieux religieux attendent souvent des images, certes modernisées, mais qui se situent dans la tradition des images chrétiennes. Plus les sujets sont « religieux » (représentant le Christ, la Cène, la Vierge, la Nativité), plus les risques d’incompréhension, voire de rejet, sont importants. Certaines œuvres d’art contemporain ont ainsi fait scandale !
Ainsi, La « querelle de l Art Sacré » s’est cristallisée autour du Christ en croix, de Germaine Richier, bronze commenecée en 1938 et consacrée le 4 août 1950, dans l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy (Haute-Savoie). En 1950, le crucifix de Germaine Richier commandé pour cette nouvelle église – entièrement décorée par les plus grands artistes de l’époque selon les vœux du dominicain Marie-Alain Couturier – fut l’objet d’une violente polémique. En effet, des théologiens traditionalistes de la faculté catholique d’Angers, qui n’avaient pas pris la peine de se déplacer pour voir la sculpture, diffusèrent un tract dénonciateur. La polémique est avivée par la décision de l’évêque d’Annecy, Mgr Cesbron de faire retirer l’oeuvre, objet de scandale le 1° avril 1951. La Commission épiscopale des évêques de France du 28 avril 1952 clôt la querelle d’Assy en déclarant : on a pas le droit dans l’exécution de présenter des déformations qui risquerait de choquer le peuple fidèle et d’apparaître au profanes comme indigne des personnes ou des mystères représentés ou même injurieuse pour eux. » Position reprise par Rome en des termes plus sévères, précisant qu’il ne faut confier les créations artistiques dans l’église qu’à des hommes qui soient capables d’exprimer une foi et une piété sincère . » Le résultat fut la condamnation de l’œuvre par le Vatican. Elle dut être retirée, et ne retrouvera sa place initiale que 17 ans plus tard, à la demande de malades venant prier dans ce lieu et qui voyaient dans ce Christ défiguré l’image de leurs propres souffrances physiques. L’artiste, athée, avait pourtant pris soin de lire la Bible (les « chants du Serviteur souffrant » d’Isaïe) et de dialoguer avec les malades, avant de réaliser ce bronze.
Pour le diocèse d’Arras, dans les archives de la commune de Bonnières, une partie de la correspondance entre maire, coopérative de reconstruction et artiste révèle le débat virulent suscité par un bas-relief de la Sainte Face. Les travaux de l’église Saint-Aubin sont menés par les architectes Yves Huchez d’Arras et Pierre-André Dufetel de Boulogne-sur-Mer, désignés par le conseil municipal dès janvier 1955. A la fin de l’année 1955, la coopérative « La Renaissance des Clochers» propose au maire de Bonnières de prendre en charge la reconstruction de l’église Saint-Aubin. Outre la gestion législative, technique et financière des travaux, la coopérative se préoccupe d’assurer la participation d’un artiste de talent au chantier. Le 20 décembre 1957, un contrat est passé avec le sculpteur parisien Maurice Calka (1921-1999), premier grand prix de Rome en 1950 et professeur à l’Ecole Nationale Supérieure des beaux-arts, pour la réalisation des fonts baptismaux, du tabernacle, des chandeliers, du Christ d’autel et d’autres travaux de sculpture.
Une lettre du maire à la coopérative dit l’ampleur de la surprise causée par l’introduction de l’art moderne dans l’église du lieu: a L’aménagement intérieur de notre église, notamment la sculpture du mur de chevet, ayant soulevé un tollé général de protestation, nous avons demandé à la Commission Diocésaine d’Art Sacré (CDAS) de nous faire connaître son avis.
Six mois avant la bénédiction de l’église par l’évêque Monseigneur Perrin, en décembre 1961, la querelle est déclenchée à la vue de ces oeuvres sculptées. La désapprobation générale est bien rendue dans les lettres d’invectives du maire au directeur de la coopérative de reconstruction. Il s’insurge contre le fait que la coopérative se soit permise d’imposer « n’importe quoi, à plus forte raison des oeuvres dont les outrances ne peuvent que choquer les fidèles ».
L’attitude des autorités religieuses est sans équivoque. À peine une semaine après avoir été alerté du scandale, l’évêque lance un arrêté imposant le retrait de l’oeuvre: 1. Nous interdisons l’exposition publique dans l’église de Bonnières en reconstruction d’un panneau de métal doré représentant la sainte Face qui est à la fois peu lisible et choquante et qui, en outre, ne semble pas à l’échelle de l’édifice. 2. Nous demandons des modifications du crucifix destiné à l’autel dont le caractère, pourtant figuratif, est trop sommaire ou déplaisant. En outre, les règles liturgiques imposent que le crucifix de l’autel prenne place en son centre et non pas sur le côté du marchepied. Il devrait être tenu compte de cette exigence. 3. Les prescriptions liturgiques réclament aussi que la cuve baptismale comporte intérieurement un compartiment pour la réserve d’eau baptismale. 4. Enfin, sans nul parti pris, on ne peut que s’étonner que l’architecte n’a pas placé de croix sur le clocher, alors que rien dans la forme de ce clocher ne s’opposait à l’érection de cette croix.
Comme l’évêque de Nancy pour le Christ de Germaine Richier, l’évêque d’Arras a pris une mesure des plus fermes à l’encontre du crucifix de Calka. La coopérative obtient du sculpteur qu’il remplace la Sainte Face refusée.
L’épisode de la querelle de l’art sacré qui s’est déroulé à Bonnières est le plus significatif du diocèse d’Arras. Mais les archives d’autres communes permettent de constater que ce refus de l’art moderne n’est pas un cas isolé.
Le renouveau de l’Art Sacré qui a suivi la seconde guerre mondiale correspond aux grands chantiers de la Reconstruction. Il est marqué par le désir de réconciliation entre l’Eglise et l’Art Moderne, et celui d’éviter de reproduire les «pastiches» de style historique des reconstructions post-guerre 14-18, deux tendances s’affrontent : • L’élite moderniste pour laquelle l’oeuvre d’art contemporaine est plus une question qu’une catéchèse, elle fabrique du sens plus qu’elle n’exprime un savoir ou un sens construit en dehors d’elle. Ce n’est plus une théologie mise en image mais une image qui pense et fait penser autrement.. • La masse des fidèles, plus conservatrice, pour laquelle l’art sacré présente fondamentalement une dimension catéchétique.
C’est dans ce contexte que nous irons à la découverte de 3 artistes dont les oeuvres sont profondément représentatives de cette période : Madame Geneviève d’ANDREIS, peintre de Boulogne/mer, et Madame Nicole HEMARD, sculpteur, dont l’atelier était à Wimereux et Henry LHOTELIER, maître-verrier de Boulogne-sur-mer. Mais avant, voyons la question plus générale de la reconstruction des églises dans le Pas-de-Calais après 1945.