Maurice Rocher

Maurice Rocher

Maurice Rocher a réalisé en 1958 les vitraux de la 2e moitié de l‘église de l’Immaculée Conception de Wimereux, depuis la hauteur de la sacristie jusqu’au chœur (cf photos en bas de cet articles).

Né le 1er Août 1918 à Evron dans la Mayenne, près de Laval, berceau de l’art naïf et patrie d’Alfred Jarry, Maurice Rocher dessine depuis l’âge de 12 ans. Il est fils d’un chef de gare (employé du Réseau de l’État de l’époque) et d’une jeune fille dont la mère était issue d’une famille nombreuse (21 enfants) de petits agriculteurs, les Chauveau. Un grand-oncle, légataire d’une personne riche, était peintre portraitiste à Laval où il habitait une grande maison avec un atelier. C’est lui qui offre sa première boite de couleurs au petit Maurice qui la lui a demandée.

Maurice Rocher est d’abord peintre (peintre de figures, peintre à la gouache, peintre de décorations murales) mais, issu des Ateliers d’art sacré de Maurice Denis et Georges Desvallières, il est naturel pour lui de s’intéresser et d’accepter les commandes proposées par l’Église : fresque, mosaïques vitrail et tapisserie. Il a ainsi réalisé de nombreux cartons : cartons de tapisseries, cartons de mosaïques, cartons de vitraux… Pour le vitrail, il ne se contente pas d’être un simple cartonnier, et souhaite apprendre le métier « à fond », ce qu’il fait aux ateliers Bony, le meilleur de Paris, dit-il. Ce choix pèsera lourd sur sa vie artistique car il sera souvent vu comme un artiste chrétien. Croyant, il fréquentait régulièrement l‘abbaye de Solesmes.

Qu’il soit peintre veut surtout dire qu’il a une facture personnelle et ne cède à aucune figuration facile ni à une abstraction à la mode. Artiste, il bâtit des compositions fortes et prend plaisir à utiliser la grisaille et à s’essayer à d’autres techniques, tapisserie, mosaïque, fresque, trouvant tout jeu de la matière intéressant. Mais, croyant, il pense que l’artiste n’a pas à exprimer son égo dans les églises, son but premier étant de créer un climat, de servir un monument et sa qualité première, la discrétion : « Je ne pouvais transposer la peinture que je faisais chez moi dans le vitrail. Je n’en avais pas le droit car ma peinture était le contraire de la paix.» (Nathalie Cottin, Entretiens avec Maurice Rocher : le peintre, Dieu, la femme, Paris, Éditions Altamira, 1994, p. 43). Plus proche des peintres Braque, Matisse, Léger et de leurs vitraux (ce qu’il ne voudra jamais admettre), il adopte une ligne traditionnelle lors de la « querelle de l’art sacré » qui oppose les pères Couturier et Régamey à l’Église – faut-il confier une église à des peintres incroyants ? (il avouera plus tard s’être trompé) – et place résolument une ligne rouge entre sa peinture et ses vitraux. Mais sa composition, ses couleurs, toujours cohérentes et construites, gardent leur objectif propre et leur originalité.

Homme torturé, il exprime ses passions et ses angoisses dans ses toiles, gouaches et visages-matière, mais il n’arrivera jamais à nouer un fil entre ses deux vies et ne mettra pas en valeur ses vitraux de son vivant, ce qui explique peut-être leur relatif oubli.

De 1934 à 1936, il fut élève de L’Ecole des Arts Appliqués du Mans. En 1936, un voyage en Belgique lui fit connaître les Expressionnistes Belges contemporains. De 1936 à 1939, à Paris, il fut élève de l’Atelier d’Art Sacré de Maurice Denis et Georges Desvallières.

Après avoir été pensionnaire à la Fondation de Lourmarin, il fut désigné comme pensionnaire de le Casa Vélasquez de Madrid ou il séjourna en 1949 et 1950. Il participait à des expositions collectives d’entre lesquelles: à Paris, les Salons de Moins de trente Ans en 1941, puis de La Jeune Peinture, d’Art Sacré, d’Automne, des Réalités Nouvelles, et : 1952 Paris, Cent chefs-d’œuvre d’Art Sacré, galerie Charpentier ; 1953 Paris Célébrités et Révélations de la Peinture Comptemporaine, Musée Galliera ; 1957 Paris, Biennale des Jeunes Artistes ; 1958 Bruxelles, Exposition Internationale ; 1960 Tokyo, École de Paris, Art décoratif ; 1964 Tokyo, Exposition Internationale d’Art Figuratif ; 1967 Paris Positions, Oppositions, etc. Il montrait des ensembles de ses oeuvres dans les expositions personnelles, dont, 1953 Musée de Poitiers, 1956, 1964 Paris; 1964 Versailles ; 1965, 1968, 1970, 1972 Paris galerie J. Massol ;1976,1979 Paris, galerie Ariel ; 1984, 1988 Paris galerie Protée ; 1989, 1990, 1991 Paris galerie Pierre et Marie Vitoux ; 1991 Paris Chapelle de la Sorbonne, AA Galerie, galerie Olivier Nouvellet.

La guerre éclate : il est mobilisé au 6ème R.A. le 16 septembre. Il sera démobilisé en septembre 1941 et ira vivre à Bueil (Eure), où il reprend une activité artistique : c’est une période mystique, avec des peinture à sujets religieux, vitraux, tapisseries, mosaïques, fresques, surtout en Normandie et Bretagne, avec de nombreux séjours à l’abbaye de Solesmes.

La guerre 39/45 est donc terminée : il est jeune et c’est la période des enthousiasmes, des réussites liées à l’ardente croisade ecclésiale qui prône après-guerre le renouveau des sites et de la liturgie. Il participe à ce renouveau de l’église. L’héroïsme, c’est d’être croyant. Il veut se faire dominicain. Il passe des heures dans la basilique d’Evron (il aime le calme et la fraîcheur des lieux) en particulier devant la Pietà polychrome du XVème siècle. « Mais l’appel de la vie est plus fort. Au lieu d’avoir des maîtresses, des amies, des modèles, il se marie à 27 ans en 1944 avec Geneviève Chevard. Il faut fonder une famille, avoir des enfants, disent les curés. Il en aura six (de 1944 à 1952). Mais comment les nourrir ? Cela, l’église ne le dit pas. Il est doué… Il veut être un artiste chrétien. On lui demande des vitraux ? Pourquoi pas ? Maurice Rocher fut donc tenté par le vitrail et il se passa là une sorte de miracle. Lui, dont on peut dire qu’il n’a jamais vu sortir du tube un rouge de cadmium, un vert émeraude, un bleu de cobalt, voilà qu’il commence à jouer avec ces explosifs que sont les verres de couleur… Maurice Rocher est de ceux qui sont venus, à la coupure du demi-siècle, assurer fort à propos, une relève nécessaire. Les verrières de Maurice Rocher comptent parmi les meilleures qui aient été réalisées au cours de ces dernières années ».

La reconstruction de la Normandie commence, il travaille avec les architectes des Monuments Historiques et les Commissions d’Art Sacré et acquiert une notoriété grâce à ses compositions solides et ses couleurs magnifiques. Il sait « servir l’architecture », être en retrait dans le gothique ou innover dans le béton en des figurations hardies, des-murs vitraux ou des verrières abstraites, poétiques, proches des réalisations de Fernand Léger …

De 1944 à 1950 il vivra à Paris.

Le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme finance les régions sinistrées, et les travaux s’enchaînent à partir de 1949. Réalisant ses premiers vitraux chez les Bony, il oeuvre ensuite comme eux, et parfois avec eux, en Normandie dans les chantiers de la reconstruction. Il travaille aussi avec d’anciens élèves des Ateliers d’art sacré : Marie Arbel, céramiste, et d’autres artistes (Philippe Kaeppelin, sculpteur, les Plasne-Lecaisne, tisserands). Élève, puis professeur aux Ateliers d’art sacré (préférés aux Beauxarts de Paris, où il est reçu).

En 1948, il fut un des co-fondateurs avec Joseph Pichard du Centre d’Art Sacré, ou il professa jusqu’en 1952. En 1949, il fut un des lauréats du Prix Hallmark, dont le thème était La Nativité. En 1952, Il remporta le Prix de la Jeune Peinture (pour une très belle « Maternité » : cf ci contre : 116×81), puis il expose chez Drouant, Massol, Ariel, Protée, Vitoux, Nouvellet, et ses toiles sont achetées par le musée national d’Art moderne de Paris, le Centre Pompidou, le musée royal d’Art moderne de Bruxelles, Dublin et Taiwan.

Il a réalisé de nombreux travaux de décorations architecturales ou monumentales à Paris, Caen, Brest, Toulouse; ainsi qu’au Luxembourg, au Congo, au Mexique.

De 1949 à 1950, il est pensionnaire à la Casa Velasquez à Madrid. En 1950, il déménagement à Versailles. En 1957, il s’installe dans une grande maison au milieu des arbres, mais sans atelier véritable. Il se fait donc construire, plus tard, dans le jardin, une maison dont l’atelier a la lumière et le volume désirés. « Je suis venu habiter Versailles en 1950, et c’est de là que sont nées ces façades baroques inspirées par la cathédrale Saint-Louis… Très vite, ces façades allaient devenir des visages, églises-femmes, carnaval…, gueule ouverte… ou anthropomorphe…, sur la fin, cette église des angoisses couverte d’ulcères. » (Maurice Rocher, extrait de son journal 1994)
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De ses débuts, en 1937, jusqu’en 1954, il peignait dans une manière strictement figurative et sage, malgré quelques accents expressionnistes, des scènes de l’histoire sainte, dont de nombreuses Pietà.

De 1954 à 1965, peignant des Cruxifiction, Ecce Homo et autres moments du Vendredi Saint, il libéra totalement son langage pictural, donnant la primauté à l’expression et à la violence, sur l’harmonie ou la construction, mettant l’influence reçue à travers Permèke au service de sa foi religieuse, avant de manifester plus fortement ce que les yeux ne voient pas.

Il gagne donc sa vie en réalisant des vitraux, principalement avec le maître-verrier Jacques Degusseau, qui a créé son atelier à Orléans en 1945 ; celui-ci emploie une dizaine d’ouvriers, et réalise environ trois cents chantiers, axés sur la dalle de verre, avec plusieurs artistes majeurs : Jacques Le Chevallier, Léon Zack, Philippe Kaeppelin, Simone Flandrin-Latron, et, surtout, Maurice Rocher. Jacques Degusseau achète en 1955 un atelier à Paris dans le 15e. Son fils Gérard suivra sa voie, auprès de Maurice Rocher, J. Le Chevallier et Max Ingrand. (ci-contre : signature de Maurice Rocher, 1958, Ateliers Degusseau, sur un vitrail de l’église de Wimereux)

Vous pouvez retrouver le chapitre sur l’histoire de l’église de Wimereux en rapport avec l’installation des vitraux de Maurice Rocher en cliquant sur l’icône suivante :

Jamais il ne renâcle à travailler son iconographie, se renseignant sur les saints locaux, demandant des renseignements aux curés ou collectionnant les vignettes de vies de saint de La Vie catholique. Les ecclésiastiques lui demandent souvent d’allier l’ancien au moderne. Dom Henri de Laborde dira à Maurice Rocher, dans une correspondance à propos de la basilique d’Evron (en 1954) : « Très sincèrement, je suis ravi de ce que vous avez fait là. Voici enfin du moderne qui s’insert sans heurt dans l’ancien, une belle harmonie grave et douce » – mais pas toujours. Bien que souvent très à l’écoute de la demande du clergé, à l’Abbaye de Solesmes (cf photo ci-contre), il refuse ce que souhaitent les moines. « Ils voulaient de la couleur. Je me suis contenté d’un jeu monochrome clair sur une très fine résille de plomb. Je leur ai dit : comment oserai-je lutter avec l’architecture de votre chœur et la beauté de vos chants ? »

En 1956, il expose à la Galerie Saint Placide. « Maurice Rocher… à trente-sept ans, présente sa première exposition… Rocher a su attendre son moment… Le « silence » de ses œuvres qu’un sentiment religieux gouverne n’est pas le fait d’un hasard. Ce grand recueillement, cette paix, sont la propriété d’un homme qui va seul, accomplissant une mission qui lui est propre. » (Jean Chabanon, Le Peintre). « Cet homme prie en peignant. Il ignore l’agitation mondaine.» (René Barotte, Le Journal des Arts)

En 1965, c’est le Concile. Furieux qu’on brade les rites et les traditions, qu’on remplace des rituels anciens aux significations secrètes par des refrains anodins, il souffre, sa foi chancelle. Son fils aîné meurt. A partir de 1965 donc, Maurice Rocher à délaissé les thèmes religieux proprement dits. Son romantisme l’a attiré dans l’aventure folle du mariage, son sens de l’honneur l’empêche de tout quitter comme l’a fait Gauguin …  Il amasse et amasse des toiles que personne ne vient voir dans l’atelier (cf photo ci-contre), ni acheteur, ni galeriste, ni bien sûr critique… Il doute. Qu’importe ! En 1970, ses enfants élevés, il se lance dans l’aventure. Il peint jour et nuit. “Le soir, j’ai hâte d’être au matin pour peindre” écrit-il dans son journal ou « je préfère mes toiles à mes filles ». Enfin Jean Pollak l’expose à la galerie Ariel, il trouve des pairs en Lindström, Christoforou, Gillet mais son mauvais caractère fait le reste et il les quitte. Exposé chez Protée, Vitoux et Nouvellet, il ne sera jamais montré à la FIAC.

Car sa prolixité dérange. Présenté à tort comme peintre chrétien à cause de ses premières toiles, il use maintenant d’une figuration libre et, dans ses toiles comme dans sa vie, il est sarcastique et violent. Il se revendique expressionniste, un style que le public n’aime guère, ça rappelle l’Allemagne. De fait, l’expressionnisme n’a jamais été un art français. Et la mode de l’abstrait commence.

Frère Alexis (de la Fraternité Saint-Benoit Joseph Labre) décrit ainsi les vitraux de Maurice Rocher de l’église de l’Immaculée Conception de Wimereux : « … l’artiste aimait traiter le grand thème de la misère humaine, en donnant libre cours à sa vie intérieure. Mais peu de personnes connaissent le pourquoi de la gravité des visages des vitraux du cœur de l’église de l’Immaculée Conception : la raison en est que lorsqu’il réalisa ces vitraux, son fils Jean-Baptiste venait de décéder. En 1968 : « De douloureux événements comme la mort de son fils unique, Jean-Baptiste, seront à la source d’une longue recherche picturale d’une rigueur telle que rien – et surtout pas le goût du public ou les intérêts des marchands – ne vient jamais l’infléchir, et obligent Maurice Rocher à se confronter aux grandes interrogations que sont la vie, la mort, l’amour, Dieu, l’échec et l’absurdité de la vie humaine » (Son ami mayennais le Père Maurice Gruau, 1990).

Eglise de l’Immaculée-Conception de Wimereux : Vitrail de Maurice Rocher (1958) (à gauche dans le chœur) : « Annonciation », « Visitation », « Nativité », « Fuite en Egypte », 4 parmi les 8 scènes de la vie de Marie que Maurice Rocher a mis en vitraux.

Vous pouvez retrouver le chapitre sur les vitraux de l’église de Wimereux dont ceux de Maurice Rocher en cliquant sur l’icône suivante :

C’est un homme déçu qui finit en 1970 les vitraux de la nef de la basilique de Pontmain et, ayant perdu la foi, se réfugie dans la peinture. On ne s’étonnera pas que, par la suite, ce peintre tourmenté renie son oeuvre et sa foi passées, n’acceptant plus d’en entendre parler… Il écrit : « Aujourd’hui je ne suis plus croyant, mais je reçois encore des cartes postales avec les vitraux que j’ai pu faire dans telle ou telle abbaye. Il y a des gens qui prient, réconfortés par ces vitraux. C’est comme si j’avais vécu un autre monde, servi un autre monde. Et qui continue à vivre ! Cela me poursuit alors que je suis ailleurs».

Vitraux de l’eglise Saint-Jean-Baptiste de Château-Gontier, par Maurice Rocher (1954-56) (cliquer sur la vignette de votre choix pour voir l’image correspondante dans son format d’origine et éventuellement zoomer sur les détails)

Il habite Versailles, une ville de bourgeois. Il se moque. Trop de notables qui se rendent aux rétrospectives de Van Gogh quand ils ne l’auraient même pas visité dans leur rue. “6000 personnes par jour à l’exposition Van Gogh – les mêmes qui le laisseraient crever aujourd’hui s’ils le rencontraient dans sa solitude”… note-t-il, narquois. Le vieux peintre rôde (comme Van Gogh) dans la ville, il se promène, chapeau sur la tête, cheveux longs. Il a toujours froid, il grelotte, il entasse sur lui pardessus, écharpes, gilets. On reconnaît sa silhouette. On dirait Ubu-roi. Mais est-ce pour autant qu’on lui parle ?

De 1965 à 1967, avec fureur il peint les protagonistes de notre comédie humaine contemporaine: des généraux et des bouchers, dont les faciès se confondent au point qu’il lui a fallu les numéroter; interchangeables aussi avec les ministres, les notaires et autres notables promoteurs immobiliers; avocats et juges complices de la même farce; un cardinal avec un torero et sa dame; et puis inattendue, une noce et ses dessous. Parmi ces figures de figurants de la grosse noce crapuleuse, de temps en temps apparaît un homme de douleur, dont on sait bien, qu’il est, incognito, le Christ revenu constater les dégâts.

De 1968 à 1970, des Nus sont venus compléter ce passage en revue de l’humaine condition. On s’interroge sur la situation de Maurice Rocher par rapport à la femme ou de la femme par rapport à lui. D’un côté elle apparaît comme rédemptrice: « Dans sa quête d’absolu, l’homme qui a perdu Dieu peut trouver la femme. Elle est un absolu, même s’il est difficile à vivre »,ce à quoi il précise toutefois: « la femme est plus riche. Mais elle le paie de sa fragilité ».

De 1970 à 1972, il a repris le thème, déjà très souvent traité par lui tout au long de son activité créatrice, des Églises, cette fois hallucinées, convulsionnées de l’intérieur, par on ne sait quel feu qui les embrase, d’enfer ou de foi?

Ensuite de quoi, et pour toute la suite de son œuvre, c’est au « mythe de la femme  » qu’il est revenu, mais par le thème indéfiniment développé du Couple, ce qui rend sa vision des choses plus ambiguë : la femme, il la peint désormais dans des couples déséquilibrés, envahissante, des avortons d’homoncules se pressant lascivement contre ses flancs et poitrine immenses, dans une confusion de têtes à becs ou mufles, trouée d’yeux fous, mains griffues, bouches sanguinolentes comme plaies béantes et seins en grappes.

Peut-être faut-il retrouver la cause de sa conception du « mythe de la femme » dans son enfance ? En effet, la maman, très jeune, confiait régulièrement son fils à la grand-mère qui tenait un café place du Champs de Foire-aux-Chevaux. Celle ci lisait les gazettes plutôt que de surveiller l’enfant qui s’installait régulièrement sous le comptoir, à observer les gens… Son œil se formait. Les jours de marchés, il voyait les grandes gaillardes du coin. Vues d’en-dessous, il s’agissait de femmes terrorisantes, en train de boire et de rire auprès des maquignons. Il les appellera plus tard les  » mangeuses d’homme  » ? Est-ce cela qui va forger en lui cette idée que les femmes sont plus puissantes, plus décidées, plus fortes que les hommes ? (Il y avait dans la famille la légende d’une aïeule héroïque: s’étant fait arracher le sein par un taureau, elle tient la bougie pendant que le chirurgien la recoud). Il n’en démordra jamais. Il en peindra beaucoup. Dans la Noce (1966) la mariée est beaucoup plus grande que le marié – comme son père, Aurélien, plus petit en taille que sa femme…

La bulle spéculative sur la peinture arrive. Il a tant peint. Il vend ! Il expose ! Des musées achètent ses toiles ! Il rencontre aussi une autre femme. Un peu plus libre, il peint des Couples, des gouaches qui montrent une sensualité heureuse… même si, de nouveau, l’angoisse tapie le guette. Le souvenir de son fils qu’il est allé reconnaître sur son lit de noyé, le père Popieluszko dont il a vu la photo à la morgue, Che Guevara dont on ne sait pourquoi il s’entiche, le père Camillo Torrès (dont l’assistante assassinée était mayennaise) l’inspirent… Commence un thème qu’il exploitera longtemps, les Suppliciés. La vie a-t-elle toujours une valeur ? Il peint l’angoisse de l’homme mort, anéanti – le martyr, le combattant, le dissident. L’Église était comme une mère. Elle ne veille plus sur ses enfants. Et eux ne veulent plus d’elle. Dieu se tait… Pour tout le monde ! Et puis, comme il l’écrit :”Si Dieu existe, j’aurai des comptes à lui demander”.

En 1992, il organise une rétrospective de son oeuvre à la chapelle de la Sorbonne de Paris.

Au travers de ces thèmes, récurents et entrecroisés au long de son œuvre, leur commun dénominateur est toujours l’humain, on est tenté de dire l’inhumain. Mais s’il est confronté au doute: « L’Ecce Homo, je n’y crois plus. » c’est toujours l’homme de souffrance, il a toujours existé et existera toujours », qu’il peint par larges balafres courbes de la brosse étirant des pâtes épaisses de ton brun-verdâtre, pour dire encore la passion dans le sens de ce qui est douloureusement subi, c’est à dire inextricablement confondus, la vie et la mort…

Son oeuvre sur vitraux, à l’égal de sa peinture, existe toujours aujourd’hui. On y voit d’autres qualités, d’autres couleurs… Elle mérite de sortir de l’oubli. Le problème de Maurice Rocher est peut-être sa prolixité : on le croit religieux, il est athée, on le sait peintre, il est cartonnier de vitraux. Il brouille lui-même les cartes dans une autodestruction involontaire et l’amertume des dernières années fera le reste. Mais retenons ses réalisations, toujours d’une grande qualité – une fois vues on ne les oublie plus –, de même qu’on garde en tête ses thèmes originaux et ses couleurs flamboyantes.

Le 12 juillet 1995, suite à l’Alzheimer de sa femme qu’il n’avait jamais quittée, il se laisse mourir, à 76 ans, considérant que son œuvre est achevée. Il est alors persuadé qu’elle restera abandonnée, que ses filles n’en prendront pas soin ! Il part désespéré quant au devenir de sa peinture, si importante par son volume et sa force mais relativement si peu connue malgré la reconnaissance de ses pairs, les peintres.

Sources : 

  • Article d’Anne Potier « Le point riche » n° 11 – juin 2013
  • Conférence d’Anne Rocher à Saint-Lo  « Les Vitraux de Maurice Rocher » – 13 octobre 2011
  • Conférence d’Anne Rocher à Troyes à la Cité du Vitrail : « Maurice Rocher et le vitrail » – 12 juin 2015 v3
  • Extrait du « Bénezit » (dictionnaire de référence des peintres, sculpteurs dessinateurs et graveurs du monde entier) – Édition de 1999 – Tome XI – « Maurice Rocher »  (par Jacques Busse)
  • mauricerocher.com
  • http://www.maurice-rocher.com
  • Maurice Rocher, l’Expressionniste, un film de Franck Saint Cast, 2008

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    • L'association AEICW Post author

      Bonjour,
      J’ai bien connaissance d’un autre site internet concernant Maurice Rocher, mais lorsque j’ai voulu le consulter, j’ai automatiquement été redirigé vers une page qui n’avait rien à voir, du style éditeur de site internet. J’ai considéré qu’il était en maintenance ou obsolète. J’ai ré-essayé quelques jours après : idem. J’ai donc considéré qu’il n’était plus actif. (il y a de cela plusieurs mois). J’en ai parlé à Claire Rocher qui m’a expliqué que le site de sa soeur était en maintenance à l’époque… Mais s’il est accessible à nouveau, merci de me prévenir…
      Cordialement
      Franck Weens

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