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Jeudi 3 août 20h, le Père Philippe Thiriez propose quelques réflexions au sujet de Bernanos et « les Dialogues des Carmélites » à la lumière de la nouvelle création de la pièce en 2016 par le Théâtre de l’Arc-en-Ciel à la fois à Paris et à Marcq-en-Baroeul.
Le père Philippe Thiriez, Père Blanc, travaille via ses conférences au dialogue islamo-chrétien. Sa vie de missionnaire, baroudeur du Christ, lui a gravé un principe d’airain : la tolérance. « Tout croyant mérite d’être respecté dans sa foi. »
Après avoir vécu près d’un demi-siècle dans des territoires musulmans en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, il a nourri autrement sa spiritualité : « J’ai été obligé d’avoir une foi qui va plus profond ». « En vivant avec les musulmans, je me suis converti à une certaine vision de l’homme », explique le père Philippe Thiriez (d’après la Voix du Nord 19 juin 2012). A 90 ans, il vit depuis 2007 dans la Communauté du Chemin Neuf au monastère de Bouvines. C’est là où cet érudit, fin connaisseur de l’œuvre de Charles de Foucauld, travaille au rapprochement islamo-chrétien. Mais il est toujours sur les routes, très actif. « Un policier algérien m’avait fait remarquer, il y a des années à Alger, qu’un religieux n’est jamais retraité», sourit le père Thiriez.
Le prêtre tient une conversation comme on laboure un champ : en semant une kyrielle de petites graines sans savoir si elles vont germer. Il le fait en inventant un style : l’impressionnisme du coeur. Le Lillois a embrassé la mission à la fin de la Deuxième Guerre par envie de cosmopolitisme, chez les Pères Blancs, implantés en Afrique.
Ses idéaux de conversion tournèrent court : dans l’ordre, on préfère convaincre par l’exemplarité. « Avant de partir, on m’avait appris à arracher une dent, à réparer une 2 CV ou à pratiquer un accouchement d’urgence », se souvient en souriant cet ancien enseignant. Pendant près de 30 ans, il vivra dans les zones berbères d’Algérie. Portant à bout de bras un dispensaire, une école, travaillant simplement parmi les villageois, musulmans, en évitant soigneusement de prendre parti dans les soubresauts de l’histoire.
Ce Père Blanc a vécu quasiment la même vie que les moines de Tibhirine, assassinés en 1996 et qui ont inspiré le fameux film « Des Hommes et des Dieux ». « Je connaissais bien Christian de Chergé (Lambert Wilson dans le film de Xavier Beauvois), nous nous retrouvions tous les mois pour des réunions à Alger ». Il concélèbrera l’enterrement des moines, à Alger. C’est la richesse spirituelle et culturelle de son coeur dont il témoigne par ses conférences sur l’islam.
Le Dialogue des Carmélites de Bernanos par le Théâtre de l’Arc-en-Ciel en 2016 : présentation succincte :
Dans ces dialogues, les 16 carmélites innocentes, pourtant condamnées puis guillotinées sous la Terreur en 1794, prennent valeur de symbole et permettent à Bernanos de mettre en scène la peur, thème central comme l’indique l’épigraphe tiré du tableau « La Joie » : « en un sens, voyez-vous, la peur est tout de même la fille de Dieu, rachetée la nuit du Vendredi Saint, elle n’est pas belle à voir – non ! – Tantôt raillée, tantôt maudite, renoncée par tous. Et cependant, ne vous y trompez pas : elle est au chevet de chaque agonie, elle intercède pour l’homme». Ces femmes d’âges et d’horizons multiples ne rejettent ni la peur, ni l’angoisse. Elles les traversent personnellement, fortes de leur communion ; ou plutôt, elles se laissent traverser par elles. « Sans appui et pourtant appuyées », elles trouvent leur liberté et même la joie. Car pour Bernanos, le seul mouvement oblatif donne un sens à la liberté en faisant d’elle une dignité, une valeur suprême. L’ensemble de son œuvre se voit d’ailleurs condensée en un seul trait lumineux : « La traversée oblative de la peur à la Joie.»
La clé de la joie profonde ne serait-elle pas d’accepter la peur qui est au rendez-vous de chacune de nos vies ? Ou plutôt nous laisser traverser par elle au lieu d’en avoir honte, de vouloir ignorer ou de la fuir ? Le vide absolu par lequel la perspective et l’acceptation d’une mort violente font passer chacune de ces femmes, se mue en Joie pleine du don de soi dans l’accueil sans réserve de l’éternel présent.
C’est donc cette sagesse folle qui, à travers ce « Dialogue », est mise en évidence comme l’antidote de la peur. En 1947, Bernanos écrivait : « le monde ne sera sauvé que par les hommes libres. Il faut faire un monde pour des hommes libres ». Ces Carmélites en témoignent jusqu’au martyre, non celui de Daesh qui assassine, mais celui de l’amour qui se donne tout entier. Cette célébration de l’Être apporte à tous des nourritures substantielles capables de fortifier l’homme intérieur.
Au pathétique grec de l’impuissance (l’homme esclave des dieux, accablé par la fatalité), comme au pathétique de la révolte (l’homme face a l’absurde chez Camus), Bernanos oppose le pathétique du sacrifice accepté, de ce mystère de la Croix, celle du Christ appelant l’homme à s’arracher à lui-même pour entrer dans la joie.
Cette démarche tragique dans les trois cas nous conduit à voir cette œuvre comme une célébration de la Sainte Agonie de ceux et celles qui offrent leur vie en ce moment même pour les autres, à l’exemple des Carmélites de Compiègne et de Blanche de la Force, la petite novice imaginée par Gertrud Von Le Fort, tétanisée jusque-là par une peur maladive qui, par le don délibéré d’elle-même, retrouve l’esprit d’enfance si cher à Bernanos et, le cœur confiant, se laisse saisir par la joie.
« La simplicité de l’âme, nous consacrons notre vie à l’acquérir, ou à la retrouver si nous l’avons connue, car c’est un don de l’enfance qui le plus souvent ne survit pas à l’enfance… Une fois sortie de l’enfance, il faut très longtemps souffrir pour y rentrer, comme tout au bout de la nuit on retrouve une autre aurore. Suis-je redevenu enfant ? » murmure la Première Prieure avant d’assumer volontairement par une agonie déchirante la mort de Blanche en signifiant par là, comme l’énonce sœur Constance qu’« On ne meurt pas chacun pour soi mais les uns pour les autres, voir même les un à la place des autres ». Cette ultime question-réponse est le support majeur de cet œuvre magistrale de Bernanos.
Dans la mise en scène du Théâtre de l’Arc-en-ciel, ce Dialogue n’est pas présenté comme l’histoire de ces Carmélites conduites à l’échafaud dont le martyre sonne à la fin de la Terreur, mais plutôt de manière plus universelle selon les grands rites d’une tragédie grecque. Ici le personnage d’un coryphée (chef de chœurs dans la tragédie antique) dit ou chante des textes de Djalâl ad-Rûmi, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Ravindranath Tagore et des citations de différentes sources mystiques et poétiques. La musique utilise un mode tonal antique avec plusieurs gammes, chacune donnant un visage différent, une expression nouvelle, face au silence assourdissant de Dieu. « Dieu ne nous avait laissé que le sentiment profond de son absence », écrit Bernanos dans une lettre du 17 septembre 1918, en parlant de l’expérience de la guerre. Cette tradition musicale de l’usage des gammes modales comme reflet de l’expression de l’homme face à Dieu est restée vivante dans les monastères. La proposition musicale est structurée sur les notes de base du Veni Creator grégorien traditionnel sol la do ré mi. La pièce évolue en tableaux, et pour chacun d’entre eux correspond une musique en gammes modales basées sur chacune de ses notes prises progressivement dans l’ordre inverse : mi ré do la sol, comme une descente dans le plus profond mystère intérieur, pour passer de la peur extérieure à la joie intérieure. Successivement donc : Mi, pour chanter le mystère la peur. Puis Ré, pour l’humilité de la vie monacale et la mort de la prieure. Do, mode de la maturité grande, certaine et énergique, pour le grand écart entre l’engagement monastique d’une part et les révolutionnaires d’autre part. La, mode confiant de l’enfant qui se laisse conduire paisiblement, pour l’engagement au martyr et la prière pour tous. Sol, mode joyeux et triomphal, pour la fête du Mont-Carmel et l’offrande de leurs vies.