Homélie de l’Abbé J-P Boutoille du dimanche 14 janvier 2018, journée mondiale du migrant et du réfugié

L'association AEICW
14 janvier 2018

Homélie de l’Abbé J-P Boutoille du dimanche 14 janvier 2018, journée mondiale du migrant et du réfugié

Homélie de l’Abbé J-P Boutoille
du dimanche 14 janvier 2018,
journée mondiale du migrant et du réfugié

1 S 3, 3b-10.19 – Ps 39 (40), 2abc.4ab, 7-8a, 8b-9, 10cd.11cd – 1 Co 6, 13c-15a. 17-20 – Jn 1, 35-42

Aujourd’hui, dimanche 14 janvier 2018, cela fait 104 ans que les papes l’on décidé, l’Église universelle célèbre la 104ème Journée mondiale du migrant et du réfugié, pour laquelle le Pape François a choisi comme thème de réflexion et de prière :

« Accueillir, protéger, promouvoir, intégrer les migrants et les réfugiés »

Certes, il est bien de collecter pour les réfugiés de Calais des victuailles, du nécessaire d’hygiène, des sacs de couchage, etc…, comme nous l’avons fait dans notre paroisse récemment. Mais il faut aussi aller plus loin, et aller à la rencontre de ces gens, vivre à leurs côtés, pour les soutenir dans leur quotidien, et parallèlement se rendre compte de leurs conditions de vie, et d’accueil, avec leur dignité souvent bafouée, notamment lors de certains abus des forces de l’ordre, dites forces de sécurité, à leur encontre depuis le démantèlement de la « jungle » de Calais il y a un an. On y rencontre le plus souvent des jeunes entre 13 et 18 ans, qui ont quitté leurs familles, pour fuir un avenir qui ne leur promettait que souffrance et mort.

En tant que chrétien, avec les réfugiés, il faut partager, sur le plan humain. Il faut prendre soin humainement… Mais actuellement dans ce domaine, on peut se poser la question : l’humain existe-t-il encore ?

A ce sujet, j’ai rencontré à Calais une bénévole d’origine parisienne, partie sans préjugé, sans parti pris, décidée à donner quelques mois de son temps pour aider les réfugiés, dans le quotidien de leur vie. Elle se prénomme Léna, elle n’est ni journaliste, ni militante, elle a 30 ans. Elle a vécu ce que j’ai moi aussi constaté depuis longtemps. Mais écoutons son témoignage :

« Je vais vous parler de mon ressenti, de mes pensées, de ce que j’ai vu à Calais, sans grands mots, ni belles phrases. J’ai passé deux semaines à Calais fin novembre et début décembre 2017. Je ne connaissais rien à la situation, je m’y suis rendu après avoir entendu que des associations cherchaient des bénévoles pour distribuer des petits déjeuners et des repas. »

« La situation : 800 migrants, mineurs pour une grande partie, tentent de survivre en attendant de passer en Angleterre ; survivre sans tentes, sans cabanes. Avec un manteau et un sac de couchage éventuellement, si ces maigres biens subsistent aux nombreuses confiscations et détériorations, voire destructions des CRS. Les CRS sont, aux dires des associations, 450 en ce moment. Je ne vais pas faire un dessin des distributions de repas. Si le soleil est au rendez-vous, ça va, c’est supportable pour les bénévoles. Sourires, rires, échanges fraternels, discussions, animeront la distrib’… Si la pluie, le froid, la grêle ou la neige ont transit les migrants, il est bien difficile de n’avoir à offrir que du thé chaud et un morceau de pain puis de les laisser là, seuls, entre la zone industrielle et la forêt où il se cachent. Ils nous le racontent, et nous le voyons souvent, les CRS les traquent de nuit comme de jour, éteignent les feux à l’extincteur ou à coup de pompes, brûlent les sacs de couchage, les vêtements, gazent en pleine nuit ces personnes sans défenses. Bref, ils les harcèlent physiquement et psychologiquement, en continu. Et ils ne font qu’appliquer les ordres que donne la hiérarchie. Comment dormir en laissant ces gens dans cette situation ? »

« Puis j’ai fait mon chemin parmi les migrants, je me suis fait des amis. Avant d’être des migrants, ce sont des êtres humains comme tout le monde. Nurah vient Érythrée. Je lui demande pourquoi il a quitté son pays : « Pour éviter le service militaire, qui peut durer à vie ! A l’armée, en Érythrée, vous êtes maltraités ou torturés, vous travaillez dur, on vous envoie à la guerre en Ethiopie et vous n’êtes pas payés. » En gros, vous êtes esclave ou chair à fusil. Plus tard je vérifierai ses dires en lisant le rapport alarmant sur la situation en Érythrée rendu par Amnesty International. Alarmant ! »

« Mais aujourd’hui, il fait beau et j’ai proposé à Nurah de lui payer une carte téléphonique pour qu’il puisse joindre sa famille. Sa maman en particulier, à qui il n’a pas parlé depuis 4 mois et qu’il n’a pas vue depuis 1 an et demi. J’avais envie de pleurer tout le temps, c’est tellement difficile… » Il parle encore : « Je veux aller en Angleterre, mais je sais que c’est dur là-bas. Il faut faire attention en marchant dans la rue, on peut vous attraper par derrière et vous traîner dans un coin pour vous frapper. »

« Je les ai vus les CRS, une vingtaine, à 19 heures, balayer la forêt et détruire le peu de biens nécessaires à la survie de ces gens. Je repense à une bénévole qui s’indignait sur le sort des afghans renvoyés dans leur pays, et à une mort certaine. Il est 2 heures du matin, Nurah m’écrit un SMS: « j’ai pu dormir dans une maison durant 3 jours, mais on m’a dit que je ne pouvais pas rester plus. Pour le plan grand-froid, ils ont ouvert un bâtiment durant une semaine, mais c’est fini, il ne fait plus assez froid. Mais nous sommes beaucoup à avoir peur d’y aller, peur qu’ils nous contrôlent ou nous envoient dans un autre pays. » Je lui demande comment il va. « Je ne sais pas, je me sens vide. Je me sens si mal parce que hier ils sont venus, ils nous ont gazés et ont gazé les sacs de couchage. Ils nous ordonnaient de partir. Je déteste les humains en ce moment, je déteste ce monde, je ne sais plus ce que je dis. J’essaye de dormir dans la forêt. Nous n’aurions jamais dû venir ici, c’était une mauvaise idée. Je suis tellement stupide. » Je tente de le réconforter. Il continue : « Nous voulions la liberté, mais les gouvernements et les gens d’Europe se moquent de nous et nous détestent. Pourquoi ? Je ne sais pas, mais c’est ainsi. » Ça me fait mal. Il joint des smiley en pleurs à ses messages… Combien de personnes ne dorment plus à la Roya, à Calais, dans toute la France ? Les journaux titraient ces derniers jours : « Pourvu qu’on ne trouve pas de cadavres à la fonte des neiges », je rajoute : « Pourvu que le cynisme des autorités françaises ne poussent pas les migrants vers la folie et le suicide. Pourvu qu’on ne trouve pas des cadavres pendus aux arbres des forêts françaises. » J’ai peur. Ouvrir des bâtiments durant une semaine pour le plan grand-froid, et les fermer dès le lendemain lorsque la température a pris un degré supplémentaire, et aussitôt gazer les réfugiés. Voilà où nous en sommes en cette fin 2017. Le cynisme est là, comment en sortir ? S’il reste un peu d’humanité dans le cœur de nos dirigeants, cessez cette situation s’il vous plaît. Joyeuses fêtes à tous. » LÉNA, le 21/12/2017

Plus d’humanité, voila ce que nous chrétiens, devons témoigner. Plus d’humanité envers autrui, certes, et tout particulièrement en cette journée des migrants et des réfugiés, accueillir le réfugié à nos portes, le protéger, promouvoir sa dignité, sa santé, aider à son intégration. Cette question peut mettre mal à l’aise certains. Je les vois se trémousser sur leurs chaises… D’autres, très peu, ont même quitté notre assemblée durant mon homélie ! Mais nous ne devons pas fuir cette question importante qui nous est posée à nous chrétiens par le Pape lui-même aujourd’hui ! En tant que chrétien, nous ne pouvons pas fuir cette part de responsabilité : l’accueil du réfugié ! Pour reprendre les lectures d’aujourd’hui, n’entendez-vous pas le Seigneur vous appeler à ce service ? A être auprès du Christ ? Du Christ souffrant ? A chercher où il demeure et rester auprès de Lui ? A être les membres du Christ en action ?

En tant que prêtre, j’ai pu assister en ce début d’année, aux vœux des maires des communes des différentes paroisses dont j’ai la charge. Il y avait des maires, députés, anciens ministres, conseillers départements et régionaux. Et à aucun moment dans leurs discours il n’a été évoqué le sort des migrants à Calais ! Non, cela ne semble pas une préoccupation de nos dirigeants. J’ai interrogé un député à l’issue d’une cérémonie au sujet de cette lacune. Il m’a répondu : « Il est vrai que nous ne prenons pas le temps de réfléchir à ce sujet ».

Nous, chrétiens, devons prendre le temps de réfléchir au sort des plus faibles, et en particulier, au sort des migrants et des réfugiés, dont cette journée leur est consacrée mondialement. Et cette réflexion doit aboutir à une action. Nous, chrétiens, par nos actions, nous devons leur témoigner plus d’humanité.

Pour cette méditation aidons nous du thème de réflexion et de prière que le Pape François nous propose aujourd’hui en quatre verbes : « Accueillir, protéger, promouvoir, intégrer les migrants et les réfugiés ». Ces quatre verbes ont été les fils conducteurs d’une longue concertation de la part de la conférence des évêques de France, qui a été résumée dans une lettre de quatre pages à l’ensemble des bonnes volontés de notre pays. Cette lettre indique les actions qui leurs paraissent prioritaires en ce domaine, dans le contexte français, et dans la perspective des pactes mondiaux de 2018. Accueillir, protéger, promouvoir, intégrer : « conjuguer ces quatre verbes à la première personne du singulier et à la première personne du pluriel, comme le souligne le pape, constitue un devoir de justice, de civilisation et de solidarité ». Dans la lettre des évêques de France, que je vous invite à lire avec attention, ces derniers lancent un appel solennel aux chrétiens et à tous les hommes et femmes de bonne volonté, pour qu’au sein de leur paroisse, d’un collectif, d’un mouvement ou d’une association, ceux qui le peuvent, s’engagent sur l’une ou l’autre de ces priorités.

Pour sensibiliser nos dirigeants, je vous propose d’écrire dès maintenant à votre député, au ministre de l’intérieur, au président, pour réclamer simplement un peu plus d’humanité envers les migrants, notamment à Calais, en réclamant pour eux simplement un TOIT …

Et nous chrétiens, nous pouvons être pain quotidien pour les plus faibles, en l’occurrence, les réfugiés.

Amen !

Pour lire la lettre des Évêques de France : cliquer sur le lien suivant :

Communiqué de la Conférence des Évêques de France : MIGRANTS : TROUVER UNE RÉPONSE COMMUNE (pdf)